Comme vous l’avez sans doute compris, la suite de ce reportage débuté cet été en terres brisoliennes et de l’ArcTanGent se déroule du côté de l’AM Fest, orchestré dans la capitale catalane qu’est Barcelone. Le festival, porté par le label Aloud Music, célèbre sa 8e édition avec une affiche qui n’a pas grand-chose à envier à l’ATG. Jugez plutôt : Daughters, Tides of Man, Portrayal of Guild, Tides From Nebula, Brutus, Deafheaven, Touché Amoré, Bo Ningen, les cultissimes The Album Leaf, Cocaine Piss, Pelican, etc.
Certains d’entre vous remarqueront qu’il manque toutefois une dizaine de groupes dans l’évocation des noms présents sur cette édition et ce pour une bonne raison, laquelle tient à la part importante des groupes hispaniques dans cette programmation. Car si l’ATG anglais se destine à suivre une forme relativement traditionnelle de festival, donc plutôt portée sur l’international, l’AM Fest, lui, tient également à sa dimension locale, incluant ainsi des propositions artistiques issues des territoires espagnols et catalans. Parmi elles, on va trouver des projets plutôt récents (Falç de Metzinera, Puput, Ainara Legardon, Punta Laberinto…) mais aussi des icônes de la scène post/expérimentale espagnole (Lisabö, Los Saran Fontan, Za!, 12twelve…), ce pour une mise en avant qui s’explique autant par la présence de certains de ces artistes Aloud Music que par une véritable volonté de soutenir la scène musicale domestique.
Pour les néophytes, il faut savoir que la plupart des fests barcelonais se tiennent en milieu urbain, et de fait, s’implantent souvent dans des lieux relativement atypiques. Ici, le festival tient salon à la Fàbrica de Creació Fabra i Coats, ancienne filature textile transformée aujourd’hui en centre d’arts contemporain, niché au coeur du tranquille quartier de Sant Andreu. C’est dans ce cadre peu commun et au charme industriel certain qu’est organisé la trentaine de concerts de cet AM Fest cuvée 2019, sur quatre jours.
Armé de mon photopass, je me retrouve alors à naviguer au sein de ce microcosme qu’est l’AM Fest. Car en effet, le festival accueille autant les amateurs de « post » de tous bords que les membres et acteurs de la scène locale (cf : voir plus haut…) barcelonaise, transformant de fait le site en un formidable lieu d’échange et de rencontres. Il est par ailleurs à noter que la politique du festival se veut réfléchie, mesurée : éthique. En effet, l’organisation de l’AM Fest propose une charte éthique à son public, consultable sur le net et prônant des valeurs d’ouvertures et de respect des différences (quelles soient culturelles, sexuelles etc…).
Il faut dire que l’AM Fest touche sa bille en médiation, et propose des actions qui nous semblent évidentes, mais ne sont pas forcément pratiquées dans tous les festivals. Ne serait-ce que de par le choix des salles et des artistes qui y passent : trois scènes, trois ambiances. Dans la principale, il y a la scène des headbangers et moshers, où ferraillent Daughters, Za!, Bo Ningen, Portrayal of Guilt, etc ; il y a la scène des “headliners” où l’on hoche plus la tête que ne danse avec Pelican, The Album Leaf, Deafheaven, Tides of Man, Touché Amoré ; et puis la seconde salle, qui est en fait une galerie, où ont été regroupés les groupes et les propositions les plus expérimentales, en forme de havre de paix et de recueillement. À noter que la dernière est celle qui du coup présente le plus de projets originaux, lesquels débordent assez fréquemment du sillon « post » pour flirter avec les courants plus noise, ambient ou expérimentaux.
Si à la qualité des concerts, vous ajoutez la convivialité du lieu et du public, vous êtes sur la bon chemin pour passer un très bon festival. D’autant qu’ici, les gens sont ouverts, accueillants : généreux. A titre personnel, j’ai même eu droit à un concert privé de la part d’une jeune “sorcière” (elle lit aussi le tarot) argentine, à la voix nacrée, aux sonorités évoquant Angel Olsen ou Leonard Cohen.
Il faut aussi préciser que lorsque j’évoquais plus haut la présence importante sur la prog’ de représentants espagnols, je ne parlais pas vraiment des groupes de copains du cru, si bien que 12twelve célèbre en ces lieux ses 25 ans de carrière, Lisabö jouit d’un certain culte quand Los Sara Fontán ou Punta Laberinto n’ont aucune difficulté à rallier le public à leur cause. Mais, si je devais vous donner une véritable impression de ce festival qui sait surprendre et combler son public, laissez-moi vous décrire mon plus grand coup de coeur : Falç de Metzinera. Une batteuse, une bassiste, une danseuse aux allures de gitane espagnole. Distillant une musique primale aux instants veloutés de flûte et tambours traditionnels catalans, la danseuse s’élance, agile, gracieuse, envoûtante, jouant de ses mains, de ses hanches, de ses foulards pour créer la “ilusión” dans votre regard.
En espagnol (votre serviteur bénéficiant de la double culture), nous avons un mot pour décrire une telle chose, qui ne se traduit pas tout à fait de la même façon qu’en français, à savoir « precioso ». Un instant/une personne dont la grâce précieuse est belle à voir. Un instant que l’on savoure… à travers leurs incantations en catalan et leurs rythmes lancinants, explorant les souvenirs dessinés du folklore traditionnel du nord de l’Espagne, ces derniers trois artistes cités laissent une empreinte considérable dans ma mémoire bien au-delà des clichés et figures imposées par le caractère parfois prévisible du groupe « caution locale ».
Pour conclure : l’AM Fest se veut être un festival plus humain, à taille plus réduite que l’ArcTanGent, mais avec autant de force dans sa proposition artistique que dans son hospitalité. Confortable, accueillant, on s’y sent bien entouré, libre des contraintes habituelles des festivals en plein air (mention spéciale au fait qu’aucun groupe ne joue en même temps, très gros point positif), c’est aussi un festival qui se veut un support à la scène post sur différentes échelles : locale, nationale, européenne, mondiale. Sa programmation est qui plus est cohérente, réfléchie, harmonieuse. Et si l’on devait se livrer au jeu des métaphores comparatives, on pourrait dire que l’ATG prend des airs buffet libre de groupes de « post » quand son cousin espagnol ressemble plus à quelque chose destiné aux gourmets. Et même ce l’AM Fest ne sert pas de format pinte au bar, il sait deviner les moindre désirs des festivaliers pour les combler dans un véritable écrin de velours.
IN THE MUD FOR LOVE Part I : immersion musicale en terres bristoliennes